CYBERATO Alter-perspectives disputables

« Walter Christaller : du « cadavre exquis » au « cadavre ressuscité » »

Date de publication : 20-01-2011
Auteurs : 

Cet article a été originellement publié en anglais dans la revue SAPIENS et l'article original est disponible à l'adresse suivante : http://sapiens.revues.org/index852.html

Dans la plupart des géographies actuelles les représentations spatiales utilisées regroupent des ensembles de lieux-objets différentiés dont les localisations peuvent être repérées (directement ou indirectement) à la surface de la Terre à l’aide de la latitude, la longitude et l’altitude en utilisant des systèmes de projection de cette surface sur un plan. Or, les espaces définis à l’aide de systèmes de projection cartographiques sont indépendants des lieux-objets qui y sont représentés. Une fois les lieux-objets représentés à l’aide d’un espace de projection, les espaces cartographiques ainsi générés permettent de combiner et de voir les lieux-objets sous forme de géo-métrisations qui donnent naissance à des géo-visualisations. Cependant, ces géo-visualo-métrisations présumées « objectives » peuvent être utilisées pour formuler des géo-interprétations déterminées d’un côté par le choix a priori d’un système de projection par l’observateur et de l’autre par des croyances et des idéologies exprimées à l’aide de géo-visions explicites ou implicites.

Une des géo-interprétations les plus connues est l’image idéale générée par une géo-vision proposée par Walter Christaller en 1933 (Die zentralen Orte in Süddeutschland) à l’aide de laquelle il prétend expliquer la fonction « centrale » d’un lieu-objet à la surface de la Terre en se servant d’une géo-métrisation de sa localisation dans un système triangulo-hexagonal régulier. Or, le schéma géométrique utilisé par Walter Christaller pour résoudre le problème qu’il a posé est mathématiquement faux. En plus, comme il n’est pas arrivé à vérifier empiriquement la validité géographique de sa géo-interprétation, Walter Christaller a affirmé sans démontrer, diffusé des résultats numériques faux et proclamé la supériorité de ses schémas explicatifs en utilisant un concept « d’adéquation de sens » entre la réalité et l’idéalité, les « inadéquations » historiques ou naturelles étant interprétées comme des «anormalités ».

Dans cette optique, pour les continuateurs de Walter Christaller une théorie dont une des principales composantes est réfutée par la description de la réalité reste une théorie valable s’il est possible d’en construire un « modèle » qui reste « utile » à défaut d’être scientifiquement valable. La méthode utilisée est celle du « cadavre exquis » qui consiste à mettre des idées considérées comme « vraies » avec des idées dont on sait qu’elles sont « fausses » en croyant que les vraies neutraliseront les « fausses » et les rendront « vraies ». Ce mouvement d’amputation-greffe s’est poursuivi sans interruption depuis la fin de la deuxième guerre mondiale avec des phases d’accélération et de ralentissement asynchrones entre les différentes aires géographiques linguistiques concernées (allemand, anglais, français, espagnol, estonien, italien, japonais, néerlandais, russe, suédois etc.).

Cette prétendue « théorie » a été sauvée en négligeant ou oubliant les contradictions entre les observations et les énoncés théoriques, en procédant à des coupures-censures dans Die zentralen Orte in Süddeutschland, en abandonnant ou en simplifiant les schémas triangulo-hexagonaux idéaux « explicatifs », en attribuant abusivement certains des schémas d’autres auteurs à Walter Christaller, en renversant l’ordre dans le raisonnement sur le « système des lieux centraux » et enfin en proposant des interprétations géométriques contradictoires des « principes ».

En dépit de la sophistication de leurs méthodes et de leur haut degré de technicité, les résultats de la fabrication de formes à l’aide du matériel fourni par la géomatique et l’analyse de données (« data analysis ») sont pareillement soumises aux contraintes résultant des rapports entre « géo visualisations » dérivées des « géo-métrisations » et « géo-visions » qui peuvent être liées au concept de « centre » détaché de son sens mathématique initial, comme dans la prétendue « théorie de la centralité ». L’idée de « centre » devient alors un concept géographique toxique.