CYBERATO Alter-perspectives disputables

Élisée Reclus traducteur de Carl Ritter, passeur de la logique Tout/Partie

Date de publication : 15-01-2015
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professeurs honoraires
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Pontarlier

Dans sa traduction de 1859 intitulée : De la configuration des continents sur la surface du globe et de leurs fonctions dans l’histoire Élisée Reclus coupe et modifie le texte original publié par Carl Ritter en 1852 : Über räumliche Anordnungen auf der Außenseite des Erdballs und ihre Functionen in Entwicklungsgange der Geschichten. Élisée Reclus y transmute le monde « humain » dominé par le « divin » de Carl Ritter en un monde « humain » à la recherche de l’harmonie avec la « nature » hors de toute transcendance. On pourrait supposer qu’à la suite d’un tel changement fondamental la logique spatiale de Carl Ritter disparaisse ou soit profondément altérée. Or, il n’en est rien : l’analyse de l’espace terrestre par Carl Ritter à l’aide d’un mode de pensée géographique fondé explicitement sur les rapports entre le Tout et les Parties résiste aux coupures et modifications d’Élisée Reclus. Dans sa traduction française, tout en supprimant les mots « Tout » (« Ganze ») et « Partie » (« Teil ») qui figurent dans l’original allemand, Élisée Reclus ne modifie pas l’utilisation que Carl Ritter fait de la logique Tout/Partie. Élisée Reclus continue d’ailleurs à l’utiliser implicitement dans sa Nouvelle Géographie Universelle (1876-1894) et dans L’Homme et la Terre (1905-1908).

 

Suite à cette disjonction entre logique spatiale et causalité peut-on distinguer chez Élisée Reclus un niveau épistémologique (la théorie) qui serait autonome du niveau pratique (l’utilisation de la théorie pour promouvoir l’anarchie) ce qui justifierait de traiter sa pensée géographique indépendamment de son idéologie anarchiste ?

 

Au cours d’un entretien dans sa maison de Clarens au bord du Léman avec un visiteur hollandais, Élisée Reclus a répondu par avance à cette manière de le débiter en parties rangées dans des tiroirs autonomes. « Après quelques minutes de causerie dans le cabinet de travail encombré de livres, de cartes déliées et de manuscrits, [son interlocuteur] fit une allusion polie à la Géographie Universelle, dont l’avant dernier volume allait paraître [1893] : « Oui, dit Reclus, je suis géographe, mais je suis avant tout anarchiste. » (H. ROORDA VAN EYSINGA, 1908, p. 186) »

 

Cette façon de se présenter et se définir lui-même n’implique cependant pas que l’on puisse hiérarchiser le « personnage extraordinaire », « l’écrivain géographe », « le grand penseur » et le « passeur de logique » en réduisant le géographe Élisée Reclus à n’être qu’anarchiste. Mais symétriquement Élisée Reclus ne peut pas non plus être considéré comme étant avant tout un « géographe allemand » (FARINELLI, 2007) parce qu’il éprouvait une admiration et un amour filial pour Carl Ritter dont il voulait égaler l’Erdkunde. « A Bruxelles, [écrit-il en mars 1894] il me fallait en même temps lutter contre le Conseil d’administration de l’Université […] et maintenir ma dignité de géographe quoiqu’anarchiste et d’anarchiste quoique géographe. (RECLUS, 2010-2014, Tome III, p. 160) »

 

Nous allons montrer qu’on ne peut subsumer l’homme dans un personnage car chez Élisée Reclus la foi athée de l’anarchiste est indissociable de la tradition nouvelle du géographe.